Jérusalem, la ville qui se conjugue à tous les temps
« L'esplanade du Temple est dans nos mains ! » C'est pas ces mots que le commandant de la région Centre, le général Motta Gur, déclare avoir pris possession de la vieille ville de Jérusalem.
Nous sommes le 7 juin 1967. Après de difficiles combats aux alentours de la ville, les unités parachutistes pénètrent dans Jérusalem.
9h45. Le convoi s'installe sur le mont Scopus, au nord de Jérusalem.
La ville est là toute proche, comme un chat qui dort, dans la chaleur d'un jour qui peine à se lever. Le ciel est limpide, parfumé par les odeurs de cyprès qui s'agitent dans une brise légère.La ville s'étend et s'étire.De la fumée monte de la Vieille Ville. Les soldats posent le pied sur le versant de la colline. Ils ont du mal à endiguer une émotion emplie de ferveur.Ils entrent dans la vieille ville, en procession. Ils sont lourdement harnachés, le casque est vissé sur leurs têtes. Ils regardent dans toutes les directions. Ils sont tendus, ils se sentent unis les uns aux autres, et ils avancent.Une colonne de parachutistes se dirige vers la zone bâtie au bas de la route. Les officiers grimpent dans des jeeps et démarrent à vive allure..A la tête d'une escouade de soldats marche l'aumônier général, le rabbin Goren. Un rouleau de la Loi sous le bras, un Chofar dans la main gauche, il parcourt à grands pas le chemin qui s'offre à lui. Sa barbe est dressée, drue et sèche, acérée. Il est essoufflé, couvert de suie et en sueur.Motta Gur est dans la cour du temple. Les soldats ont marché dans les ruelles. Du toit des maisons ils voyaient apparaître le dôme de la mosquée d'Omar, leur repère, leur guide. Ils arrivent près du Kotel.Nous sommes le 28 Iar.
Le général Uzi Narkiss est à la tête de ses troupes aéroportées. Il emprunte un chemin étroit, ses hommes à sa suite. Il atteint la porte des LionsDans la cour du Temple il retrouve Motta Gour et bientôt Moshé Stempel.
Sur l'esplanade, le drapeau israélien flotte déjà, bannière dressée, haute, dans le ciel de Jérusalem qui renait.Le Grand Rabbin Goren arrive. Les soldats fraternisent et s'embrassent. Ils entrent dans la légende d'Israël, ils deviennent éternels.
Le rabbin se jette à terre et se prosterne en direction de l'emplacement du Saint des Saints. Puis il lance à pleine voix l'antique prière de guerre :« Ecoute Israël ! Vous êtes aujourd'hui en guerre avec vos ennemis. Que vos cœurs ne craignent point, vous n'avez pas lieu de vous effrayer ou de trembler devant eux ! C'est au nom de l'Eternel que nous luttons, et nous vaincrons. C'est à l'Eternel qu'appartient le salut».Uzi Narkiss pénètre dans la mosquée. Elle n'a pas souffert. Seule une porte en verre a été brisée, malgré la résistance intérieure.Les soldats, Impatients, tendus, descendent les marches, courent dans la venelle sinueuse, à droite puis encore à droite, vers la porte des Maghrébins.
Soudain… le Mur apparait, devant eux qui tremblent. Lourdes pierres taillées, les unes sur les autres, touffes de ramures…Il est temps de faire silence, de s'approprier l'instant, de le sublimer.
Dans l'impasse étroite : les parachutistes, sales, fatigués, croulant sous le poids de leurs armes, pleurent.
Ce ne sont pas les pleurs du Mur des Lamentations. Ce ne sont pas ces pleurs que le Mur a connus pendant deux mille ans. Ce sont des pleurs d'émotion, de ferveur, les pleurs d'un bouleversement profond. La muraille antique domine, majestueuse.
Les soldats embrassent les pierres. Ils prient, à leur manière, ils sont enfants de la promesse.Les dominant tous, le rabbin Goren, enveloppé dans son talith, sonne du chofar et rugit comme un lion : « Bénis sois-tu Eternel, qui console Sion et reconstruis Jérusalem. Amen ! ».Il réalise que le général Narkiss est à ses côtés. Ils s'embrassent.
Comme s'il avait attendu cet instant toute sa vie, le rabbin récite le Kaddish et El Malé Rahamim à la mémoire des combattants qui ont donné leur vie pour la sanctification du Nom et la libération du Sanctuaire, de l'esplanade du Temple, de Jérusalem, Cité de D.ieu.« Puissent-ils reposer en paix au Paradis…».
Quand le rabbin Goren sonne du Chofar, une brisure se produit dans le continuum de l'espace-temps. Cette minute n'est plus une minute, c'est l'éternité de tous les rêves accumulés, de toutes les prières.
Cette ville n'est pas une Ville, c'est Jérusalem, la Jérusalem enfin réunifiée. C'est une porte vers les mondes d'en haut, vers la limpidité des étés resplendissants.
Jérusalem fête ses fiançailles. Son peuple revient, fébrile, aimant, en quête d'étreintes, de baisers, de larmes de joie. Son peuple se languit de fouler les ruelles, de pénétrer dans les synagogues désaffectées, de poser ses yeux et ses lèvres sur les pierres chaudes du Kotel dont les marchepieds servaient parfois de latrines.
La fiancée était parée des plus beaux atours et son trousseau était fait de tous les désirs, de toutes les souffrances, de tous les combats.
La vie, la mort, l'oubli, l'espérance, et Jérusalem, en point de mire, pour tout horizon.
Jérusalem du miracle, de l'éternel miracle. Jérusalem comme un écrin, et un joyau. Jérusalem du bout de nos yeux, du bout de nos bras. Jérusalem, une ville qui dort, repliée, comme un chat pelotonné qui attend, qui nous attend.
Yaacov BEN DENOUN YARCOV
OFRAH